Kaoutar, entrepreneuse low-tech
Lors de notre passage à Casablanca, nous avons rencontré Kaoutar Abbahaddou, une jeune entrepreneuse modèle, hyperactive et optimiste tout en restant pleine de réalisme. Une rencontre riche en enseignements pour nous et tous les jeunes entrepreneurs !
Kaoutar Abbahaddou, jeune ingénieure marocaine de 23 ans a lancé il y a 3 ans le projet Vernet Access Water, développement d’un filtre d’épuration de l’eau low-cost. En quelques années, le projet et sa stratégie de développement ont beaucoup évolué pour réussir à faire rimer low-tech et entrepreneuriat. Leçons !
Kaoutar Abbahaddou
Au départ : se mettre au pas, ou pas ?
Kaoutar se souvient de ce jour, juste après son entrée en école d’ingénieur (Ecole Mohammedia des Ingénieurs de Rabat, l’une des plus prestigieuse du pays) où tous les étudiants se retrouvaient dans la cour, alignés bien en rang, en costume militaire. « Quelle est ma différence ? Quelle est ma mission à moi, Kaoutar, ici? ». Pour répondre à ces questionnements existentiels et trouver sa voie professionnelle, Kaoutar s’investit à fond dans de nombreuses activités périscolaires et en bénévolat. Finalement, c’est l’entrepreneuriat social qui retient son attention (i.e la création d’entreprises innovantes et pérennes dont les produits ou services permettent de répondre à des enjeux sociaux et/ou environnementaux).
Avec des camarades, ils profitent de la compétition Enactus International pour réfléchir à un produit-solution… Ils identifient plusieurs besoins essentiels porteurs, mais c’est l’accès à l’eau potable, une problématique encore très présente dans les villages marocains, qui leur semble le plus urgent. Après une étude approfondie de toutes les innovations liées à la filtration et à l’épuration, ils redécouvrent une technique traditionnelle : le filtre en céramique. Il s’agit de la fabrication d’un récipient en argile mélangé à de la sciure de bois (ou autre combustible comme du son de riz). Durant la phase de cuisson les particules de bois carbonisent et créent des micro-porosités qui permettent de retenir jusqu’à 99% des agents pathogènes présents dans l’eau. A cela est souvent rajouté un traitement à l’argent colloïdal qui permet de neutraliser complètement les bactéries. Durant plusieurs mois, le groupe s’attèle à des recherches techniques et scientifiques pour perfectionner le système et met au point dans les laboratoires de l’école un mélange (dont le contenu est gardé secret) à ajouter à la céramique pour rendre le filtre encore plus efficace.
Leçons pour nous ?
1/ Prendre le temps de réfléchir à sa cause, sa mission, la bonne idée ne tombe pas du ciel, il est permis donner le temps pour la rechercher !
2/ On peut innover avec l’ancien !
Avec ce projet, l’équipe remporte la compétition Enactus Maroc et la finale internationale en Chine en Novembre 2014.
Itw de Kaoutar, qui nous parle du projet Vernet Access Water, d’entrepreneuriat social, mais aussi de l’intérêt de l’échec, et du Maroc :
Fonctionnement du filtre en céramique :
L’aventure entrepreneuriale … en plusieurs aventures.
En parallèle des recherches techniques, l’équipe dessine le « Business Plan » du projet : comment vendre les filtres tout en garantissant qu’ils soient accessibles, s’essaiment et finalement bénéficient à un maximum de personnes? Comme le dit l’entrepreneuse : “il faut trouver une solution à l’équation « low-cost / effectiveness / robustness ».”
Première idée : Former des femmes à la fabrication de la partie en argile en ne vendant que la petite partie chimique conçue par l’équipe. Ce système permettra en plus de garantir des revenus et sera ainsi plus attractif. Rapidement, ils se lancent dans l’expérimentation dans trois villages au Maroc. Cela semble bien prendre, alors tout de suite, l’ambition de conquérir l’Afrique arrive ! Ils lancent donc un nouveau test au Burkina Faso.
Finalement, quelques mois plus tard, la plupart des femmes ont abandonné le projet. Pourquoi ? Cette activité ne peut pas rentrer dans leur vie remplie de nombreuses autres activités, dans leur rôle au sein de la famille. Les clients ne sont pas vraiment au rendez-vous. On ne s’introduit pas si facilement dans un système social et culturel bien rodé. Au Burkina le problème fut l’épidémie d’Ebola qui perturba le contact avec le village expérimental. Pas si simple d’entreprendre en Afrique… A tout cela vient s’ajouter un autre problème important : le difficile contrôle de la qualité des filtres quand ils sont fabriqués à l’extérieur.
Qu’à cela ne tienne, la motivation est toujours là : “Nous n’avons alors qu’à monter une usine de fabrication de filtres qui seront fabriqués en série (donc peu cher) et ensuite les transporter au village ?” se sont dit les étudiants entrenpreneurs. Oui, sauf que dès le premier convoyage en camion la moitié furent brisés !
Il faut de nouveau se remettre en question.
Diplomée, Kaoutar commence à travailler pour un grand groupe en marketing international dans lequel elle apprend des « business skills » , en gestion de projet et marketing tout en poursuivant le projet en parcourant le Maroc pour travailler avec les villages.
Au cours de ses pérégrinations, elle comprend alors 2 choses passées inaperçues jusqu’ici :
1/ Dans les campagnes, une technologie conçue « pour les pauvres » n’est pas attractive. Un objet donné avec un design très traditionnel, n’a pas grande valeur et personne ne souhaite l’acquérir. Les gens aspirent à la modernité, au même confort et produits neufs qu’en ville…
2/ Quand elle s’arrête dans les villes avant de rejoindre les villages et parle de son projet, une réaction revient régulièrement : « Nous en aurions également besoin ici, l’eau est polluée aussi.” Kaoutar réalise qu’il y a en fait dans les villes un autre marché, avec un besoin social et un potentiel financier. Il est bien probable d’ailleurs qu’un jour un concurrent le comprenne, se lance et il serait ensuite facile pour lui de décliner une version low-cost de filtres pour les campagnes.
Mais voilà l’idée génie ! Concevoir le même filtre pour les villes et les campagnes. La marge faite par l’achat en ville pourra financer une réduction sur ceux vendus en campagne.. ? Comme le « Buy one, Give one », un modèle de Social Business qui a fait ses preuves. Kaoutar pense qu’il pourrait d’ailleurs y avoir une bien meilleure “pénétration de marché” dans le sens ville-campagne plutôt que dans l’autre.
C’est sur cette dernière stratégie que travaille actuellement Kaoutar avec une nouvelle équipe d’ingénieurs et l’aide d’une chercheuse biologiste espagnole. Ils conçoivent un nouveau filtre, plus hi-tech, mais qui pourrait être proposé simultanément aux deux marchés du Maroc (villes et campagnes).
Est-ce que cette stratégie sera la bonne ? L’idée semble en tout cas très prometteuse et c’est tout ce qu’on souhaite à notre chère Kaoutar et son équipe !
N.B : Le projet a également remporté le Unilever Award for Social Entrepreneurs en 2015 et est appuyé par le réseau Ashoka.
Les leçons pour nous ?
3/ Low-tech ne veut pas dire que pour les pauvres ou les villages, il y a bien souvent un intérêt partagé avec les populations citadines.
4/ L’idée de départ n’est pas la bonne tant que l’on n’est pas allé sur le terrain ! Parfois il faut attendre, observer, être agile et savoir revoir complètement sa stratégie de départ sans se décourager.
Kaoutar est toujours ouverte à de nouvelles opportunités ! Contacts/Financements/Investissements/Expertise technique, nous vous invitons à la contacter par mail (kaoutar0abbahaddou@gmail.com) ou via son compte facebook !