Waterworld sans les méchants
Bernard Van den Broek, 56 ans, expert comptable a rejoint le Nomade des Mers du 23 décembre au 1er janvier. Si vous le croisez ne vous fiez pas à son costume, car tel un ange gardien c’est lui qui prodigue conseils, météo et orientation à l’équipage, depuis un gratte-ciel de la Défense. C’est notre routeur ! Il faut dire qu’il connait le bateau, puisqu’il lui a fait parcourir le monde pendant un an avec sa femme et ses 4 enfants. Carnet de bord d’un capitaine venu retrouver pour les fêtes son « Cyrano » désormais « Nomade des Mers ».
Nomade des Mers, pour le parisien qui débarque tout juste de la Capitale, c’est un choc !
Un mélange de rusticité et de sophistication qui me rappelle étrangement le bateau du film Waterworld. Vous savez le trimaran reformaté pour survivre après la montée des eaux sur notre planète où l’eau douce et la terre sont devenues des denrées précieuses.
Ce qui frappe tout de suite, ce sont les deux réchauds en ferraille dans le cockpit, devenu « cook stove » car c’est ici que l’on y fait la cuisine, avec le sac de charbon pour l’un et le sac de bois pour l’autre. Il y a aussi un amoncellement de gamelles et autres casseroles un peu noircies compte tenu de l’approche basique de la cuisson.
A l’arrière, toujours les trois poules, dont l’une est quand même une authentique bretonne de Muzillac, Camandine.
« – Tiens Coco, Pourquoi Camandine ?
– En fait il y avait Camille et Amandine mais l’une d’entre elle n’a pas survécu à la tempête d’Atlantique Sud. Comme on ne sait pas laquelle des deux, elles ont été fusionnées… »
Me voici dans l’ambiance !
A l’intérieur c’est la végétation qui domine, comme dans le film, mais là ce sont de belles lignes de pousses vertes, dont certaines atteignent allègrement 40 ou 50 centimètres, alignées dans des tubes de PVC astucieusement découpés pour les transformer en jardinières optimisées. Bienvenue dans les Low-Techs !
Ici c’est Corentin dans le rôle de Kevin Costner. Coco, déjà l’âge du Christ, même allure athlétique et acétique, même charisme auprès de ses disciples, mais notre sauveur du 21ème siècle fait pourtant beaucoup plus jeune que l’autre. C’est vrai que la barbe ça vieillit. A la différence du film, ici il n’y a pas de méchants qui tournent avec leurs scooters des mers, que des gentils, des vraiment sympas ; Hugo, quand même 1m96, qu’il a été contraint de faire rentrer dans la cabine arrière bâbord qu’il partage avec le très urbain Louis-Marie, pas vraiment plus petit. Et enfin Elina, jolies yeux bleus et charmant sourire. Non, ils n’ont vraiment pas des têtes de méchants ceux-là.
A Tuléar, nous sommes au bout d’une interminable jetée, construite pour accueillir les marchandises et amarrer les quelques bateaux de passage. La chaleur est accablante pour le parisien palot et déjà entré dans l’hiver. On ne tarde pas à mettre le cap sur Ifaty, une quinzaine de milles plus au Nord. Ce soir c’est Noël, il nous faut un bon repas et bien sûr un bon gâteau. Problème, le beau four qui équipait mon ancien navire a été emporté par l’épuration stalinienne voulue par l’équipe de préparation et son chef suprême pour atteindre la sobriété heureuse des low-techs. Mais mes camarades de cette aventure ont plus d’un tour dans leur sac, ils ont déniché un four solaire. Et vive les low-techs ! Nous voici donc lancés dans la confection d’un gâteau au chocolat, rendu possible grâce à quelques plaques de chocolat français emportées prudemment pour cette aventure vers l’inconnu. Le maintien de l’édifice en contreplaqué et plaques réfléchissantes est une certaine gageure pendant cette navigation courte mais un peu mouvementée quand même. On mesure la température à l’intérieur du four – et oui, il y a plein de capteurs et d’appareils de mesure sur Nomade, rusticité mais sophistication – 60 degrés, pas mal ! On découvre que quatre heures à 60 degrés, ce n’est pas équivalent à 20 minutes à 180 degrés … Pas grave, ce soir ce sera mousse au chocolat !
Soirée de Noël au mouillage, un peu loin de la côte défendue par ses patates de corail, dans un calme parfait. On se régale de bonnes choses et même d’un foie gras malgache, à l’exception de notre cher Coco devenu résolument végétarien avec une discipline de fer. Enfin tout est relatif, car il décide de faire une exception à la règle pour consommer un plat de fête à ses yeux, des larves qu’il élève avec amour depuis le départ ; sélection d’une belle centaine de ces jolis vers qui s’agitent, ébouillantage (il ne faut quand même pas les faire souffrir) et confection d’un pâté avec quelques assaisonnements. Et bien figurez-vous que malgré ma réticence, j’ai essayé et que ce n’était pas mauvais du tout !
Veillée de Noël tout comme il faut avec Hugo à la guitare, Corentin à la flûte et Louis-Marie au didgeridoo (made in PVC). Je découvre que Coco est un grand musicien capable de sortir toutes sortes de mélodies à partir d’un simple tube, vraiment très low-tech, d’origine irlandaise (un tin whistle). Les moments choisis pour ces inspirations soudaines qui doivent être illustrés sans attendre avec son charmant pipeau, sont parfois inattendus, comme par exemple à la sortie de la passe d’Ifaty alors que nous sommes au milieu de magnifiques rouleaux de 3 à 4 mètres déferlants juste à côté du bateau. C’est ça un vrai artiste !
Le sujet essentiel de cette escale à Madagascar fut la spiruline que certains entrepreneurs s’emploient à produire dans la région de Tuléar en particulier. Un outil de production de spiruline a nécessairement été imaginé et conçu à bord avec jerrican, circuit de tuyaux et système de pompage. Et comme il a fallu mesurer le taux de spiruline, là encore les cerveaux ont chauffé pour fabriquer avec une led et un capteur d’intensité de lumière un instrument de mesure d’intensité. Chapeau !
A Madagascar nous nous sommes aussi émerveillés de tous ces voiliers de travail qui, outre la pêche, assurent une bonne partie du transport de marchandises. Beaucoup de pirogues à balancier très rapides malgré leurs voiles rustiques, mais aussi de très jolis boutres gréés en goélette. La plupart sont construits à Belo-sur-mer, endroit magnifique, parfaitement approprié pour la construction, la mise à l’eau et l’échouage, et dont l’origine remonte à l’installation d’un breton – Enasse Joachim – à la fin du XIXème siècle. Une des plus belles escales pour Nomade des mers.
Voilà, c’est l’histoire d’un vieux – enfin pas tout à fait, juste « vintage », comme c’est écrit sur son Tshirt – qui voulait découvrir ce qu’il y avait derrière cette bande de jeunes qu’il tentait de guider d’un peu de routage météo depuis quelques mois. J’y ai découvert la recherche permanente de nouvelles idées et de nouvelles solutions. « L’innovation par la contrainte », la litanie d’Eric Bellion sur le Vendée Globe, un concept dont on comprend véritablement le sens ici. Et tout cela avec bienveillance, confiance, optimisme et positivité.
Je peux l’affirmer, le monde tournerait bien mieux s’il y en avait davantage comme eux !
Bernard Van den Broek