Association Gold of Bengal
2009 > 2020 : Site Musée

Blettes comme choux !

Nous sommes à quelques jours de l’arrivée à Cape Town. A l’heure où je vous parle la notion de verticalité a de nouveau disparu de notre univers. Nous traversons le dernier coup de vent de l’étape. Nous remontons contre le vent. Dans le monde de la voile on appelle ça « faire du près », nous sommes donc contre les vagues, source de tous nos ennuis. Quand le vent vient du coté on appelle ça « faire du travers », pourtant c’est quand on fait du près que tout va de travers! Bref ce n’est pas pour remettre en question le vocabulaire des marins que je vous écris : nous fêtons les 8 mois d’expédition depuis notre départ de Concarneau ! Le moment de faire un point sur une low-tech dont je m’occupe à bord : la culture hydroponique.

Le principe est simple : la plante pousse dans de l’eau chargée de nutriments et ses racines s’accrochent sur un substrat inerte. Cette méthode de culture nous a attirés car elle économise entre 3 et 10 fois la quantité d’eau nécessaire et permet de cultiver là où la terre est impropre à la culture. Idéal donc pour faire pousser des plantes dans un désert, en ville… ou sur un bateau ! C’est une vieille technique dont on retrouve des traces chez les Égyptiens ou les Aztèques. Elle a aussi été développée par la NASA pour nourrir les cosmonautes, par l’industrie agroalimentaire pour faire pousser nos légumes sous serre, et depuis peu par des amateurs qui font pousser discrètement des plantes vertes dans leurs placards. Mais étonnement, malgré son potentiel pour contrecarrer des carences alimentaires dans certaines zones du monde, nous n’avons pas répertorié de version low-tech intéressante. Une mission pour le Low-Tech Lab !

Nous avons donc installé sur le bateau une serre de 25m². Et depuis 8 mois nos plantes ont connu une vie on ne peut moins végétative…

Phase 1 : La friche
Nous avons commencé par semer un grand nombre d’espèces dans différents systèmes d’hydroponie. Objectif : tester toutes les plantes que Jean-Pierre, notre expert ethno-botaniste, nous a conseillées, afin de sélectionner celles qui répondent le mieux à nos critères : nutritives, entièrement comestibles et à croissance rapide. Mais deux mois plus tard nos plantations ressemblaient à ces misérables plates-bandes qui vivent dangereusement entre les 2 voies d’une autoroute… Conclusion : trop de paramètres en jeu pour nos mains pas encore très vertes, concentrons nous d’abord sur la technique, ensuite sur le choix des plantes.

Phase 2 : La révolution verte
En juin pendant notre escale au Cap Vert, 2 experts nous ont rejoint : Sergio, un maraicher local qui utilise l’hydroponie (car son pays importe la quasi-totalité de ses légumes à cause du manque d’eau), et Thomas, expert de l’entreprise Général Hydroponics Europe, qui nous accompagne depuis plusieurs années. Ensemble nous avons mis au point un système simple et très économique : un tuyau fermé aux extrémités, coupé en 2 dans la longueur, rempli avec des graviers de roche volcanique, de la paille et de la fibre de coco. Nous y avons principalement planté des blettes pour limiter le nombre de paramètres le temps de nous faire la main. Et en quelques semaines la serre a été envahie par la verdure ! La rançon du succès a été de manger des blettes à toutes les sauces. Emballés par ce système, nous avons alors créé un logiciel de suivi nommé « NASA du low-tech » pour mesurer les ressources nécessaires et la productivité. Nous contrôlons le pH et l’électroconductivité de la solution nutritive et pesons ce que nous récoltons et l’arrosage.

Phase 3 : L’envahisseur
En juillet nous avons rencontré au Brésil des passionnés de permaculture. Ils nous ont offert des espèces intéressantes d’un point de vue nutritif, mais catastrophiques d’un autre point de vue… (nous approfondirons ce point dans un prochain article). Les semaines qui ont suivi ont été marquées par une guerre sans relâche contre les pucerons, chenilles et moucherons ! Attaques au napalm bio, traques interminables, menaces et intimidations… Les deux camps ont connu des pertes importantes. Seules les poules sont sorties victorieuses de cette phase (en mangeant les victimes).

Phase 4 : Cradle to Cradle
En août le biofiltre/lombricompost que Thomas nous a installé au Cap Vert était prêt. Le jus produit sentait bon l’humus d’une forêt pleine de champignons après une pluie d’automne. Nous avons alors organisé une compétition entre deux rangées d’amarantes (plante dont le goût est proche des blettes) : la première arrosée par une solution nutritive du commerce et la seconde par notre jus. Cette dernière est très vite devenue jaune, blanche, vert foncé et perdait ses feuilles. On a cru avoir mis au point un herbicide révolutionnaire. Mais après quelques ajustements de pH et de dilution les croissances sont devenues comparables entre les 2 rangées. Une victoire : nous sommes devenus des alchimistes du végétal, capables de transformer des épluchures de carottes en feuilles de blettes !

Phase 5 : L’apocalypse
Nous aurions du nous méfier. Le dicton du jour disait « A la saint-Placide, le verger est vide ». La serre a été dévastée par un coup de vent. Depuis ce jour est classé à l’ordre des grandes extinctions pour le bateau au même titre que celle qui a tué les dinosaures pour la planète.

Phase 6 : Le printemps arable
Cette remise à plat nous a permis de faire un bilan et sortir les premiers chiffres de la NASA du low-tech. Pour chaque m² notre système produit 50 grammes de blettes par jour, ce qui parait pas mal. Par contre il consomme beaucoup plus d’eau que prévu : plus de 5 litres par m² et par jour ! Mais nos experts sont sur le coup, nous sommes en train d’optimiser les systèmes pour limiter l’évaporation, mieux gérer la densité, l’arrosage et la méthode de récolte. Et bientôt on saura faire pousser des blettes dans le désert, un appartement ou sur les océans avec 3 fois rien ! En attendant, ne pas se lasser des blettes, ne pas se lasser des blettes, ne pas se lasser des blettes, ne pas….

Corentin.